Dans une interview, Janine Händel, directrice de la Fondation Roger Federer, s’exprime sur les avantages de l’encouragement précoce et de l’éducation scolaire de base dans les pays en développement, sur l’ampleur de la pauvreté chez les enfants en Suisse, et sur les raisons de l’engagement de la fondation en tant que membre de la coalition de Ready!.
«Je suis l’avenir de demain», a lancé la petite sud-africaine Nolonwabo Batini à Roger Federer, qui visitait son école. Quelle importance accordez-vous à cette citation?
Janine Händel: cette citation est synonyme de beaucoup d’impressions positives pour moi. La détermination de Nolonwabo Batini est devenue le mot d’ordre de la Fondation Roger Federer. Notre fondation aimerait que les enfants touchés par la pauvreté deviennent artisans de leur propre avenir grâce à l’encouragement précoce et à une éducation de qualité.
Quel est le rôle de l’éducation, selon vous?
L’éducation est l’un des instruments les plus efficaces qui soient pour sortir un enfant de la misère. C’est pourquoi notre processus stratégique a pour objectif prioritaire une amélioration durable de la qualité de l’éducation dans les écoles enfantines, les établissements préscolaires et les écoles primaires. Nous soutenons exclusivement les structures éducatives existantes pour les enfants entre trois et douze ans. Sur le continent africain, la Fondation Roger Federer déploie ses activités au Botswana, au Malawi, en Namibie, en Zambie, au Zimbabwe et en Afrique du Sud. Mais la fondation soutient également des enfants en Suisse.
Dans quel but?
Nous voulons que nos actions visant à améliorer la qualité de l’éducation des enfants touchés par la pauvreté bénéficient également aux enfants en Suisse. C’est ce qui explique pourquoi nous investissons dix pour cent de notre budget en Suisse, où nous soutenons quatre programmes (cf. encadré, ndlr.). En unissant nos forces avec la Fondation Jacobs, nous avons notamment démarré ensemble un partenariat de gestion, à savoir pour le programme «Primokiz», dont la mission est double: relier en réseau tous les acteurs de la petite enfance au sein d’une ville ou d’une commune et offrir une aide à l’élaboration d’une stratégie globale. Il s’agit de promouvoir le développement d’une approche et de solutions entièrement et exclusivement dédiées à l’enfance, afin que les enfants et leurs familles puissent être intégrés de manière optimale dans notre société et bénéficier d’un bon départ dans la vie.
La pauvreté est-elle une réalité très répandue en Suisse?
La pauvreté chez les enfants est un phénomène moins observable en Suisse qu’en Afrique. Mais il faut savoir qu’un enfant suisse sur 15 vit dans des conditions assimilables à la pauvreté. Il en résulte fréquemment des situations d’isolement social et un déficit important du développement linguistique et des capacités motrices. Lors de l’entrée à l’école enfantine, un enfant suisse sur dix souffre de lacunes de développement qui ne peuvent généralement plus être compensées pendant les années suivantes. Il ne faut pas que le fossé entre riches et pauvres se creuse davantage. Chaque enfant de ce groupe de 10 pour cent que nous réussirons à intégrer et à encourager deviendra un adulte capable de prendre sa place dans la société et dans l’économie. Chaque franc investi pour l’encouragement précoce produira un rendement élevé.
Pourquoi la Fondation Roger Federer s’engage-t-elle en faveur des objectifs de Ready! en tant que membre de la coalition?
Les acteurs de la petite enfance ont, eux aussi, besoin de collaborer au sein d’un réseau pour pouvoir être plus efficaces. En Suisse, il existe de nombreuses solutions d’accueil gratuites pour les enfants, par exemple les après-midi de bricolage ou les chorales. Ces solutions sont idéales précisément pour les parents vivant dans des conditions sociales difficiles. Mais ces parents éprouvent souvent de grandes craintes à prendre contact, ou les informations les concernant ne leur parviennent pas, avec pour résultat que ces offres restent inutilisées. Il faut pourtant que nous arrivions à toucher ce groupe cible. Ce grand défi, nous ne pouvons le relever qu’ensemble. En notre qualité de membre de la coalition Ready!, nous voulons contribuer à tisser un réseau de relations qui touchera également les familles à faible revenu. L’un des aspects à ne pas négliger est l’importance de ce sujet pour l’économie nationale.
Comment cela?
Il y a deux ans, la Banque mondiale a reconnu la valeur de l’encouragement précoce, considérant dès lors cet aspect comme l’un des piliers de l’économie au plan macro-économique. Par contre, en Suisse, l’encouragement précoce fait souvent l’objet de débats émotionnels et est taxé de luxe superflu. Il doit impérativement être abordé de manière objective, compte tenu des avancées scientifiques dans ce domaine. Il existe plusieurs études attestant que l’éducation précoce induit un bénéfice économique atteignant un facteur de 1:17. D’ici que la Suisse calque son approche sur celle de la Banque mondiale, un vaste travail de défrichage reste à accomplir en la matière. C’est ici qu’interviennent les ambassadeurs, avec leur capacité à délivrer un message convaincant. En tant que partenaire de la coalition Ready!, nous entendons accorder davantage de poids à ces messages. Plus la coalition sera diversifiée, plus elle sera crédible. Il s’agit de dépolitiser le sujet de l’encouragement précoce. Aujourd’hui en Suisse, plus personne ne remet en question le fait que chaque enfant doit suivre une scolarité pendant neuf ans. La même logique doit s’appliquer à l’encouragement précoce.
Combien d’enfants la Fondation Roger Federer touche-t-elle au travers de son engagement?
À la fin avril 2018, nos programmes en Afrique australe et en Suisse nous ont permis d’atteindre 950’000 enfants. Notre objectif est que d’ici fin 2018, un million d’enfants reçoivent une éducation dans l’un des établissements que nous soutenons. Près de 60 pour cent des programmes en cours concernent l’encouragement précoce – et ce taux est en augmentation.
Comment évaluez-vous les succès enregistrés par la Fondation Roger Federer?
Nous utilisons des indicateurs pour mesurer l’impact de nos interventions. Dans le domaine scolaire en Afrique, nous les définissons notamment ainsi: Combien d’enfants vont-ils commencer une école enfantine ou une école? Comment les taux de répétition d’année scolaire évoluent-ils? Combien d’enfants abandonnent-ils leur scolarité? Quel est le taux de réussite lors des examens de fin d’année? En Afrique, le taux d’enfants n’ayant jamais fréquenté une école enfantine se situe entre 20 et 50 pour cent.
Existe-il des indicateurs supplémentaires?
Oui. Pour le développement d’un enfant, nous complétons notre ensemble d’indicateurs. Exemple: Comment un enfant se développe-t-il sur les plans physique/moteur et social/émotionnel? Comment les aptitudes cognitives d’un enfant évoluent-elle? L’enfant grandit-il dans une atmosphère conflictuelle? Nous utilisons aussi des indicateurs de résultats.
Qu’entendez-vous par là?
Nous formons des maîtres et des maîtresses d’école. Nous voulons donc savoir si les acquis sont utilisés dans le cadre de l’enseignement. Mais nous nous intéressons aussi à savoir si, pendant la durée de notre intervention, une place de jeu a réellement été créée, ou si la qualité des mets proposés dans une cantine scolaire s’est améliorée. Étant une fondation qui collabore avec des organisations locales pour la mise en œuvre des programme d’aide, nous sommes tenus d’examiner en détail nos actions et leurs résultats, positifs ou non. De plus, il est essentiel pour nous d’agir non en distribuant des marchandises aux bénéficiaires sur le terrain, mais en mobilisant et en renforçant les compétences et les ressources au niveau local. Nous avons trois axes d’intervention en faveur des populations locales: nous agissons sur le fond des problèmes, mais aussi sur le plan de l’organisation et en matière financière.
Quelles sont vos réussites en Afrique?
Pour chaque projet, nous avons atteint un taux de réussite encourageant. Pour citer un exemple, si l’on considère l’évolution du nombre de nouveaux élèves inscrits, nous obtenons un chiffre pouvant atteindre 600 pour cent selon les cas. Nous ne nous contentons pas d’observer un projet sur cinq ans, puis de mesurer l’impact de nos interventions. Nous suivons continuellement l’indice d’efficacité des projets. Notre préoccupation est: comment faire encore mieux? Un projet est un processus d’apprentissage permanent. Il existe en effet une multitude de facteurs externes, positifs ou négatifs, dont il faut tenir compte lors d’une intervention. Si nous remarquons que les indicateurs révèlent une évolution peu positive, nous modifions notre approche.
Interview: Thomas Wälti
Dotations de 40 millions de francs
La Fondation Roger Federer soutient des projets éducatifs en Afrique australe et en Suisse depuis bientôt 15 ans. Au Botswana, au Malawi, en Namibie, en Zambie, au Zimbabwe et en Afrique du Sud, la Fondation concentre ses efforts sur l’encouragement précoce et sur l’amélioration de la qualité de l’éducation au niveau de la scolarité primaire. En Suisse, l’accent est mis sur l’encouragement extrascolaire des enfants qui grandissent dans des conditions de quasi pauvreté.
La Fondation Roger Federer travaille en collaboration avec un total de 18 organisations partenaires, dont 14 se trouvent en Afrique australe et 4 en Suisse. D’ici fin 2018, plus de 40 millions de francs auront été investis dans des projets bénéficiant à un million d’enfants au minimum. La Fondation Roger Federer est soutenue par des organisations partenaires, des particuliers, des donateurs et des sponsors.