Samrawit D. a quitté l’Érythrée il y a douze ans pour commencer une nouvelle vie en Suisse. Aujourd’hui, elle travaille comme intervenante à domicile dans le cadre du programme d’encouragement précoce petits:pas dans le canton de Berne. Elle montre aux parents également originaires d’Érythrée comment stimuler leurs enfants afin que ces derniers puissent pleinement développer leur potentiel et commencer leur vie avec les mêmes chances que les autres. Visite chez une femme remarquable à l’histoire extraordinaire.
Samrawit D. est assise dans son salon, devant une planche à trous. Elle y enfile des lacets avec dextérité. «Ce jouet stimule la concentration et la motricité fine de l’enfant. En faisant ces exercices, il apprend par exemple à lacer ses chaussures ou à broder des motifs», explique l’Érythréenne.
Fin 2005, Samrawit D. a fui l’Érythrée. Elle ne voyait aucune perspective d’avenir dans ce pays à la Corne de l’Afrique, dirigé d’une main de fer par le dictateur Isayas Afewerki. L’odyssée de Samrawit D. a duré un an. Elle a traversé le Soudan, la Libye et la Méditerranée pour arriver en Italie. De là-bas, elle a pris le train pour rejoindre la Suisse. Direction Bâle. Dans un centre de premier accueil.
Des dominos en bois ornés de motifs d’animaux sont posés sur la table. «Ce jeu aide les enfants à reconnaître les animaux et les mots; de plus, il leur apprend à respecter les règles, à patienter et à s’amuser avec les autres», explique la jeune femme de 34 ans, dans son appartement dans le canton de Berne.
Samrawit D. est submergée par toutes les nouvelles expériences faites en Suisse. Pour la première fois de sa vie, elle a vu la neige. Et un tramway. Mais vivre en paix, c’est pour elle la plus belle chose. Seule la langue lui donne du fil à retordre. Et le froid. En plus du tigrina, sa langue maternelle, elle parle l’amharique, la langue officielle de l’Éthiopie, et un peu l’arabe et l’anglais. Après cinq mois, elle a été placée dans le centre de transit d’Enggistein à Worb, dans le canton de Berne. Tous les matins, quelqu’un venait chercher la demandeuse d’asile et l’amenait dans une ferme à Guggisberg afin qu’elle participe aux travaux quotidiens. Le soir, on la ramenait à Enggistein. Dans ce centre d’hébergement, elle a fait la connaissance de celui qui allait devenir son mari. Il est originaire de Guinée, pays de l’Afrique de l’Ouest.
Une odeur de café flotte dans l’appartement. Samrawit D. pose sur la table une assiette d’himbasha, un pain érythréen. Puis, elle froisse une feuille de journal pour en faire une boule qu’elle fixe avec du papier adhésif. «Une idée simple et bon marché de jouet à réaliser avec des objets de la maison. La boule attire tout de suite l’attention de l’enfant», dit-elle pleine d’humour. Le coureur star Zersenay Tadese? Bien sûr qu’elle le connait, répond-elle les yeux étincelants. En 2004, il a remporté la première médaille olympique pour l’Érythrée lors du 10’000 mètres à Athènes. Une vrai succès story! L’histoire de Samrawit aussi se termine bien.
En 2009, sa demande d’asile a été acceptée. Finie l’incertitude. Enfin, elle pouvait se fixer des objectifs. Elle a commencé par apprendre l’allemand. Deux cours par semaine. La barrière de la langue est tombée. Très ouverte, elle a su facilement s’intégrer dans la société. L’Érythréenne est très reconnaissante envers sa nouvelle patrie, qui l’a accueillie si chaleureusement. Elle a trouvé un travail comme technicienne de surface chez PostFinance Arena à Berne. De plus, elle faisait des ménages chez des particuliers. Samrawit D. a enfin pu déménager dans son propre appartement. En 2010, elle s’est mariée. La même année, elle a mis au monde son fils Noah, et deux ans plus tard son deuxième fils, Amen. Et elle a obtenu son autorisation de séjour.
Elle n’a pas d’antenne satellite dans son appartement et ne peut donc pas capter Eri-TV. Elle n’a pas non plus de page Facebook. Délibérément. Elle ne veut pas s’exposer aux tristes nouvelles de son pays d’origine. «De nombreuses personnes sont mortes en traversant la Méditerranée. J’en ai eu le cœur brisé. Je veux garder un bon souvenir de l’Érythrée, comme je l’ai connue dans mon enfance. Le sentiment d’appartenance y était unique», explique Samrawit D. Une semaine sur deux, la chrétienne orthodoxe appelle sa mère et son frère, qui vivent à Asmara, capitale de l’Érythrée. «Noah parle le tigrina avec sa grand-mère. Il lui demande à chaque fois ce qu’il doit lui envoyer» explique cette sympathique africaine. Noah, comme son frère Amen, parle également le peul, la langue de son père. Il peut donc également discuter avec ses grands-parents en Guinée. Bien sûr, Noah et Amen parlent aussi le bernois. Les enfants apprennent vite. Samrawit D. et son mari, musulman, parlent anglais entre eux.
Ils reçoivent l’aide du programme de prévention d’encouragement précoce petits:pas (cf. encadré) pour l’éducation de leurs enfants. Pendant 18 mois, répartis en deux blocs de neuf mois, la famille reçoit la visite d’une intervenante ayant suivi une formation particulière. Samrawit D. apprend que l’éducation en Suisse est tout à fait différente de celle donnée en Érythrée. Là-bas, les mères parlent peu aux enfants et évitent le contact visuel par respect. Le programme petits:pas permet d’établir un lien avec les femmes et les enfants issus d’autres cultures. L’intervenante transmet cinq compétences parentales à Samrawit D.: 1.) Parlez avec votre enfant! 2.) Accordez de l’attention à votre enfant! 3.) Regardez quels sont les intérêts de votre enfant! 4.) Laissez l’enfant faire ses expériences! 5.) Donnez un sentiment de confiance à votre enfant! Samrawit D. profite grandement du programme. Elle travaille depuis un moment maintenant comme accompagnatrice lors des rencontres de groupe du programme petits:pas, et elle fait ses preuves. On lui a demandé si elle souhaitait également devenir intervenante à domicile. Un nouvel objectif se dessinait pour Samrawit D., qui a osé faire le grand saut: passer du statut de membre du programme à celui d’intervenante.
Samrawit D. relève ses nouvelles missions avec courage. Elle suit sa devise: «J’essaie et si je ne sais pas, je demande.» Sa spontanéité est un atout lors des visites, elle arrive ainsi à impliquer les hommes dans l’éducation de leurs enfants. «Je souhaite que les hommes prennent plus de responsabilités dans l’éducation des enfants. En Érythrée, l’éducation est une affaire de femmes. En Suisse, les parents assument cette mission ensemble», explique la jeune femme originaire du pays bordé par la mer Rouge. Elle ajoute: «Le plus beau dans mon travail, c’est de constater les progrès des enfants. Cela me fait énormément plaisir.» En tant qu’intervenante à domicile, Samrawit D. s’impose comme modèle, pour les enfants comme pour les parents. Quels rêves aimerait-elle encore réaliser? «Je souhaite que ma famille reste en bonne santé et que mes enfants puissent un jour décrocher un bon travail, je souhaite améliorer mon allemand et pouvoir un jour travailler dans le secteur paramédical.»
Le 6 juillet 2017, Samrawit D. s’est envolée pour Khartoum avec ses deux enfants. Dans la capitale du Soudan, pays limitrophe de l’Érythrée, elle a revu sa mère, après douze ans d’absence. Samrawit D. lui a acheté une bonne paire de baskets et quelques cadeaux pratiques dégotés sur une brocante à Berne.
Un meilleur avenir petit à petit
Le programme de prévention précoce petits:pas soutient les parents, avec des enfants âgés de 1 à 5 ans, issus de milieux sociaux défavorisés et à faible niveau d’instruction. L’association a:primo, membre de la coalition Ready!, a adapté ce programme originaire des Pays-Bas. Elle le propose maintenant aux organismes des villes et des communes suisses pour le mettre en œuvre dans tout le pays.
Le programme dure 18 mois et se déroule premièrement au sein des familles, chez elles. Des visites à domicile hebdomadaires de 30 minutes sont organisées. Les parents reçoivent le soutien d’intervenantes ayant suivi une formation, comme Samrawit D. dans le reportage. Elles sont elles-mêmes mères et ont suivi un parcours similaire à celui des familles ciblées.
L’objectif premier du programme est d’améliorer et d’intensifier l’interaction parents-enfants. Les parents doivent se sentir plus en confiance avec leurs enfants. Les compétences éducationnelles des parents sont renforcées et ces derniers sont sensibilisés aux besoins de l’enfant suivant son âge. L’intervenante explique la procédure pratique par le biais d’une instruction type lors des visites. L’accent est mis sur plus de dialogue et de jeux en commun afin de contribuer à un bon climat familial.
En outre, des rencontres de groupe ont lieu deux fois par mois, permettant aux familles de nouer des liens sociaux et de partager des informations sur le développement et l’éducation de l’enfant.
Une coordinatrice se charge de la formation spécifique, de l’instruction et de la direction personnelle des intervenantes à domicile. Une rencontre hebdomadaire est organisée entre la coordinatrice et l’intervenante pour faire le bilan de la dernière visite à domicile et pour préparer la suivante.
Vous trouverez plus d’informations sur petits:pas et sur les sites du programme d’encouragement précoce ici.
Par Thomas Wälti